Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/449

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aller la Princeſſe ſeule avec le Roy d’Aſſirie : Cependant il voyoit bien, veû la maniere dont il luy avoit parlé, qu’il ne ſouffriroit pas qu’il l’accompagnaſt plus longtemps. Il s’y offrit toutefois : mais plus il preſſa pour cela, & plus l’autre s’obſtina à ne le ſouffrir pas. De plus, il voyoit que la Princeſſe alloit eſtre la plus malheureuſe Perſonne du monde : de ſorte que ſoit qu’il n’eſcoutast que la pitié, ou qu’il eſcoutast ſa paſſion, il eſtoit infiniment à pleindre. Enfin emporté par des ſentimens que luy meſme ne connoiſſoit point, il vint trouver la Princeſſe : & luy deſcouvrit ingenûment le deſſein du Roy d’Aſſirie. Je vous laiſſe à juger en quelle douleur & en quel deſespoir elle entra : principalement quand il luy dit qu’il ne vouloit abſolument point qu’il l’accompagnaſt. Ha Mazare, luy dit elle, je mourray ſi vous m’abandonnez : & il n’eſt point de reſolution ſi violente, que je ne ſois capable de prendre, ſi je demeure ſans protection aupres du Roy d’Aſſirie. Au nom des Dieux, luy dit elle, laiſſez vous enfin perſuader qu’il n’obtiendra jamais nulle part en mon affection : & que par conſequent vous ne luy rendrez aucun mauvais office, quand vous vous laiſſerez fléchir à mes larmes & à mes prieres, & que vous ſongerez à ma liberté. Au nom des Dieux encore une fois Mazare, imaginez vous un peu quel pitoyable deſtin ſera celuy de la Princeſſe Mandane, d’aller errer ſur la mer avec un Prince qu’elle haït & qu’elle haïra toujours davantage, & qui la fera reſoudre à ſe jetter dans ſes abiſmes, dés la premiere fois qu’il luy parlera de ſon injuſte paſſion. Songez donc bien Mazare, à ce que vous avez à faire : & croyez que les Dieux vous demanderont conte de ma vie, ſi vous eſtes cauſe