Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/473

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beau & plus judicieux d’en uſer comme vous dites, que de la façon dont ma paſſion me conſeille : Mais pour en uſer ainſi, il faudroit avoir plus d’ambition que d’amour : il faudroit aimer la Couronne plus que Mandane ; & n’aimer pas comme je fais Mandane plus que la Couronne. Car enfin Ciaxare apres m’avoir donné une Armée, ne me donneroit pas ſa Fille : & il faudroit partir d’aupres de luy, avec l’incertitude de remonter au Throſne, & la certitude de ne revoir jamais Mandane. Ha ! Pharnabaſe, dans le choix des deux, je ne fais pas de comparaiſon : & j’aime beaucoup mieux ne remonter jamais au Throſne pourveu que je puiſſe touſjours voir Mandane. Mais, Seigneur, luy reſpondit Pharnabaſe, quand tous les ſentimens d’ambition ſeront eſtains dans voſtre cœur, vous ne ſerez pas heureux, ſi vous n’eſtes pas aimé : & je doute ſi vous le ſerez ſans Couronne & ſans Sceptre ; errant, fugitif ; & malheureux : vous qui ne l’avez pû eſtre ſur le Throſne, paiſible, & heureux. Conſiderez, Seigneur, qu’en rendant cette Princeſſe, vous pouvez vous faire un puiſſant Protecteur, & trouver un Azile : & qu’en ne la rendant pas, vous vous oſtez tout lieu de retraite : & vous vous attirez encore ſur les bras un Ennemy qui a une Armée de deux cens mille hommes en eſtat détourner teſte où il luy plaira. Je sçay, reſpondit ce Prince, tout ce que vous dites : mais je sçay encore mieux, que j’ay un plus redoutable Ennemy dans mon cœur que je ne sçaurois vaincre : & que je ſerois meſme bien marry d’avoir vaincu, dans les ſentimens où je ſuis. Ouy, Pharnabaſe, la veuë de Mandane a de telle ſorte l’allumé ma paſſion, que je ne puis plus eſcouter que ce qui la peut ſatisfaire. Je sçay que pouvant faire une belle action, j’