Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/478

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que toutes les autres paſſions ne ſont rien, en comparaiſon de celle là. Mais Seigneur, repliqua t’elle en rougiſſant, je penſe du moins que ceux qui aiment veulent eſtre aimez : & que c’eſt une regle generale, que tous les Amans ne veulent pas eſtre hais. Cela eſtant de cette ſorte, ſongez s’il vous plaiſt, qu’en me rendant au Roy mon Pere, vous aquerrez du moins mon eſtime, & peut-eſtre mon amitié : & qu’en ne m’y rendant pas, je vous hairay plus ſans comparaiſon que vous ne voulez que je croye que vous m’aimez. Voſtre eſtime & voſtre amitié, reſpondit ce Prince, ſont deux choſes infiniment precieuſes, & qui doivent ſatisfaire pleinement, ceux qui n’ont pour vous que de l’amitié & de l’eſtime : Mais Madame, l’amour eſt une paſſion bien plus tyrannique : elle veut des ſentimens plus tendres pour la contenter : & elle ne ſe sçauroit ſatisfaire que par elle meſme. Ne trouvez donc pas eſtrange, ſi l’eſperance que vous me donnez de poſſeder un ſi grand bien comme eſt celuy de voſtre amitié, ne me peut obliger d’abandonner l’intereſt de mon amour, Mais Seigneur, repliqua t’elle, au lieu d’avoir de l’amour j’auray de la haine. Qui sçait Madame, adjouſta t’il, ſi le temps ne changera point voſtre cœur, & ſi la pitié ne fera pas, ce que toute autre choſe n’a pû faire ? Conſiderez Madame, que celuy que vous voyez devant vous, a dans l’ame la plus violente et, la plus reſpestueuse paſſion qui ſera jamais : & ſi vous la voulez connoiſtre, vous n’avez qu’à conſiderer deux choſes. L’une, qu’un ſeul de vos regards, pourveû qu’il ſoit favorable, me conſolera de la perte de mes Royaumes : & l’autre, que pouvant peut-eſtre obtenir des forces pour les reconquerir, en