Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/477

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faire entrer au Tombeau : non, vous vous abuſeriez ſi vous le croyez ainſi : & il eſt des genres de mort bien plus cruels que ceux là, quoy qu’ils ne paroiſſent pas ſi funeſtes. Ouy, adjouſta t’elle, je prefererois la mort la plus violente à la ſervitude : & je vous croirois plus innocent de me faire tüer, que de me retenir par force, & me faire mourir de deſespoir. Mais genereux Prince, je ne penſe pas que vous ayez un ſemblable deſſein : & quand je me ſouviens que le deſir de la victoire, ne vous a pas empeſché de traitter admirablement un homme qui vous l’arrachoit tous les jours d’entre les mains : Que je me ſouviens, dis-je, que vous advertiſtes Artamene, de la Conjuration que l’on faiſoit contre ſa vie : & que vous deffendiſtes de l’attaquer à coups de flèches : je ne sçaurois croire que l’ambition vous ayant laiſſé l’uſage de voſtre raiſon tout entier, l’amour, ſi vous en avez, vous l’oſte iuſques au point de ne connoiſtre pas qu’en l’eſtat où ſont les choſes, quand vous ne ſeriez pas genereux, & que vous ne ſeriez que prudent & intereſſé ; il vous ſeroit touſjours avantageux de me tendre au Roy mon Pere ; & tres inutile de me retenir plus long temps. Je voy bien Madame, reſpondit ce Prince, que tout ce que vous dittes eſt raiſonnable : mais pour le pouvoir faire, il faudroit avoir encore de la raiſon, & je n’en ay plus. Ce qui me conſole en, cette rencontre, divine Princeſſe, c’eſt qu’il eſt aiſé de connoiſtre que vous n’avez jamais aimé : & qu’ainſi j’ay du moins l’avantage de ne trouver nul obſtacle en voſtre cœur, que celuy de l’inſensibilité. Car Madame, ſi vous connoiſſiez l’amour, vous ne parleriez pas comme vous faites : & vous comprendriez parfaitement,