Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/534

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rien de ruſtique. Il trouvoit en ſes regards, quelque choſe de ſi modeſte ; & en la netteté de ſon teint une fraicheur ſi aimable ; qu’il n’eut preſque pas aſſez de liberté d’eſprit pour luy reſpondre. Neantmoins apres avoir fait un effort ſur luy meſme, il eſt vray, dit il, ma belle Fille, que j’avois quelque choſe à dire à voſtre Pere : mais en attendant que je le voye, vous voudrez bien que je vous demande, pourquoy il à choiſi une demeure ſi ſolitaire & ſi ſauvage ? Seigneur, luy dit elle, j’ay tant de reſpect pour luy, que je ne me ſuis pas informée de ce que vous me demandez : & je me ſuis meſme imaginée, que cette demeure n’eſt pas de ſon choix, & qu’il n’a fait que ſoumettre ſon eſprit à ſa fortune : qui ne luy ayant point donné de Palais, n empeſche pas qu’il ne s’eſtime heureux dans ſa Cabane. Mais eſt il poſſible, luy dit il, que cette auſtere Solitude ne vous donne point de melancolie ? Seigneur (luy reſpondit elle en ſousriant, avec beaucoup de modeſtie) vous m’allez ſans doute trouver bien ruſtique & bien ſauvage : d’oſer vous dire que la ſeule inquiétude que j’ay euë parmy ces Rochers depuis que j’y demeure, eſt celle que j’ay preſentement de vous voir en un lieu où je ne voy jamais perſonne : & où ſans doute je ne devrois pas vous voir, ſi j’eſtois en eſtat de vous en pouvoir empeſcher : n’eſtant ce ne me ſemble pas trop de la bien-ſeance, qu’un homme de voſtre condition, s’amuſe à parler ſi long temps à une perſonne de la mienne. Je ſerois bien malheureux, luy dit il, ſi je vous avois deſpleû, & ſi je vous importunois : Mais aimable Perſonne que vous eſtes, dittes moy voſtre Nom, & celuy de vos Parents : & me dittes encore quel Dieu ou quelle Deeſſe vient vous enſeigner