Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/55

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morts, qu’ils portoient par les cheveux ; un grand nombre d’autres menoient des Prisonniers enchainez ; le Prince Tigrane avoit deux Enseignes des Ennemis qu’il leur avoit arrachées ; & tous enfin portoient une marque assurée qu’ils s’estoient trouvez au Combat. Comme Artamene les vit tous de cette façon, il en eut une joye extréme : il les loüa ; il les carressa ; & pour s’aquitter de sa parole, leur fit voir le General de l’Armée ennemie qu’il avoit fait prisonnier ; & l’Espée de son Lieutenant qu’il portoit. Artamene estoit dans cette glorieuse occupation, lors qu’on vint l’advertir qu’il paroissoit environ cinquante Chevaux, qui venoient du costé de Sinope : il envoya aussi tost les reconnoistre : mais il se trouva que c’estoit Philidaspe : qui estant jaloux de la gloire d’Artamene, estoit party de la Cour sans congé : & n’avoit pû souffrir que son Rival se trouvast en une occasion dangereuse où il ne seroit pas. Je pense toutefois, Seigneur, qu’il se repentit de sa diligence, lors qu’il aprit qu’il n’auroit point de part à la Victoire, qui venoit d’estre r’emportée sans luy. Il arriva donc aupres d’Artamene, comme tous ces Chefs & tous ces Soldats tenoient encore ces illustres marques de leur avantage : & comme il avoit sçeu la chose, par ceux qui l’estoient allé reconnoistre ; s’il eust ose il ne seroit pas venu si avant : mais la bienseance ne le souffroit pas. Mon Maistre ne le vit pas plustost qu’il en fut esmeû : neantmoins comme il n’est jamais plus doux ny plus civil qu’apres la Victoire, il fut au devant de luy. Jugez, luy dit-il, Philidaspe, de ce que nous eussions fait, si vous y eussiez esté ; parce que nous avons fait vous n’y estant pas. Je ne sçay pas, respondit-il, si j’eusse partagé la gloire avec vous ;