Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

parce que dans le desordre où avoient esté leurs ennemis, comme ils avoient voulu monter à cheval, les nostres les en avoient empeschez : & les tuant, avoient pris leurs chevaux dont ils se servoient apres contre leurs Compagnons. Il y en avoit quelques-uns, qui passoient d’un simple sommeil, à un sommeil eternel sans s’eveiller : les autres à moitié armez, estoient contraints de se deffendre : d’autres se servant de l’obscurité de la nuit s’en-fuyoient sans honte ; d’autres sans armes ne laissoient pas de disputer leur vie avec opiniastreté : & tous ensemble estoient en une confusion estrangge. Enfin, Seigneur, apres un combat de deux heures, Artamene ne trouva plus rien qui luy peust resister : & faisant sonner sourdement la retraite, chacun se rassembla sous ses Enseignes : & tous ensemble reprirent le chemin du Camp. Cette entreprise fut si judicieusement conduite, & si heureusement executée ; qu’à la pointe du jour je vy revenir Artamene, à la teste de ses Troupes : qui s’estant fait rendre son Prisonnier, par ceux à qui il l’avoit baillé à garder, le faisoit marcher aupres de luy : mon Maistre tenant une Espée qu’il avoit arrachée à un des Ennemis, & qu’Imbas qui la reconnut, luy assura estre celle de son Lieutenant General. Jamais, Seigneur, il ne s’est veû une pareille chose, ny un plus magnifique Triomphe que celuy-là : il n’y avoit pas un Capitaine, ny pas un Soldat, qui n’eust quelque marque de Victoire entre les mains : l’on en voyoit, qui tenoient des Boucliers à la Phrigienne ; d’autres des Cottes d’armes toutes sanglantes ; quelques-uns des Enseignes à demy rompuës ; d’autres des faisseaux de javelots sur leurs espaules ; d’autres encore des testes de Soldats