Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/572

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plus heureux : car cette jeune Perſonne s’eſtant mis dans la fantaiſie d’eſprouver ſon affection, par une indifference aparente ; luy cachoit avec beaucoup de ſoing, la tendreſſe qu’elle avoit pour luy. Et en effet, le jour meſme que le Roy fut à Clarie, & que nous n’y trouvaſmes point Philoxipe, elle luy donna autant d’inquietude, qu’elle luy cauſa d’admiration. Car eſtant allé chez elle, & l’ayant trouvée au pied d’un Arbre, où elle deſſignoit ſur des Tablettes de Palmier, un petit coing de Païſage qui luy plaiſoit ; il ſe mit à l’entretenir de ſa paſſion ; & à luy proteſter, qu’elle eſtoit touſjours plus violente. Seigneur, luy dit elle, s’il eſt permis à Policrite de parler ainſi, je vous diray que ſi vous avez deſſein d’aquerir mon eſtime, vous ferez mieux de me dire que voſtre paſſion devient tous les jours plus ſage & plus moderée : car à vous dire la verité, je crains un peu ces paſſions furieuſes dont j’ay entendu parler, que l’on dit qui déreglent la raiſon ; qui font perdre le reſpect que l’on doit à la Vertu, encore qu’elle n’habite que ſous une Cabane ; & qui font faire enfin cent eſtranges choſes, qui donnent de l’horreur, à les entendre ſeulement raconter. C’eſt pourquoy, Seigneur, ſi vous avez deſſein de m’obliger, vous vous contenterez de me dire que vous avez aſſez d’affection pour moy, pour ſouhaiter s’il eſtoit poſſible, que la Fortune m’euſt eſté plus favorable ; que je fuſſe née d’une condition plus relevée que je ne ſuis ; ou que du moins cela n’eſtant pas, je puiſſe demeurer contente dans la mienne, ſans envier celle d’autruy. Pour vous aimer avec mediocrité (luy reſpondit Philoxipe, qui m’a raconté depuis toute cette converſation) il faudroit que voſtre beauté fuſt mediocre : il faudroit que voſtre eſprit & voſtre