Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/593

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Philoxipe n’eut pas pluſtost achevé de lire cette Lettre, qu’il vint retrouver le Roy : Seigneur (luy dit il en la luy preſentant avec une melancolie eſtrange) voſtre Majeſté verra dans ces Tablettes mon innocence & mon malheur. Apres cela le Roy ſe mit à lire ce que Policrite avoit eſcrit, & à le lire tout haut : Mais Dieux que le malheureux Philoxipe eut de peine à n’interrompre pas le Roy ! auſſi n’eut il pas pluſtost achevé de lire, que regardant ce Prince avec une douleur extréme ; Et bien Seigneur, luy dit il, ſuis-je amoureux de la Princeſſe Aretaphile, & ne ſuis-je pas le plus malheureux homme du monde ? Le Roy l’embraſſant alors, luy demanda pardon de ſes ſoubçons, & de l’inquietude qu’il luy cauſoit. Mais mon cher Philoxipe, luy dit il, j’en feray bien puni, & par voſtre propre douleur, qui ſera touſjours la mienne : & par la Princeſſe Aretaphile, qui ne me pardonnera pas aiſèment. Mais, adjouſta t’il, encore avez vous de quoy vous conſoler : puis que vous aprenez deux choſes à la fois fort importantes & fort agreables. Car enfin Policrite vous aime, & Policrite eſt de naiſſance illuſtre : en euſſiez vous pû demander davantage aux Dieux, quand ils vous enſſent promis de vous accorder tous vos ſouhaits ? Ha Seigneur, s’écria Philoxipe. ce que vous me dittes pour me conſoler, eſt ce qui fait toute la malignité de mon infortune : car il eſt vray que j’aprens que Policrite ne me haït pas, & que Policrite eſt d’une condition égale à la mienne : mais en meſme temps cette aimable & cruelle perſonne me dit qu’elle ne me verra jamais, & qu’elle ne sçait où l’on la mene. Ha Seigneur, je ſerois plus coupable ſi j’eſtois amoureux de la Princeſſe Aretaphile :