Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/596

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moins que je ne ſouffre. Car enfin ce mal eſt un ſi grand mal, qu’il aſſoupit la raiſon, & preſque l’ame inſensible : Mais icy, l’eſloignement de Policrite a pour moy toute la rigueur de la mort, & quelque choſe de plus. Je ne la dois non plus voir, à ce qu’elle dit, que ſi elle n’eſtoit plus vivante : & cependant je sçay qu’elle ſera peut-eſtre en lieu où elle ſera veüe ; ou elle ſera aimée : & où peut-eſtre elle aimera, ſans ſe ſouvenir plus de Philoxipe : & tout cela, ſans que je puiſſe prevoir de fin à ma ſouffrance ny à mes douleurs : & meſme ſans que je puiſſe avoir recours à la mort. Car apres tout, quoy que Policrite die que je ne la verray plus, je la pourrois voir, & le hazard pourroit me la faire rencontrer. C’eſtoit de cette ſorte que le Roy & Philoxipe s’entretenoient : je taſchois de les conſoler tous deux, mais à vous dire le vray, mes raiſons eſtoient fort mal eſcoutées. Cepcndant pour Philoxipe, il n’avoit point de remede à chercher à ſon mal : car comme il avoit sçeu par cét Eſclave qui luy avoit baillé la Lettre de Policrite, qu’il y avoit deſja avez longtemps qu’elle eſtoit partie : il ne pouvoit ſonger à aller apres, ny ne sçavoit pas de quel coſté faire chercher. Tout ce qu’il pût faire, fut d’ordonner à ſes Gens de veiller jour & nuit à l’entour de cette Cabane, avec ordre d’arreſter tous ceux qui y viendroient, pour taſcher d’aprendre par eux ; ce que ce trop fidelle Eſclave n’avoit pas voulu dire : & de le ſuivre par tout où il iroit ; jugeant bien que Cleanthe ne l’avoit pas laiſſe ſeul dans cette Maiſon ſans quelque raiſon ſecrette, & ſans avoir deſſein d’y revenir : ou du moins d’y renvoyer quelqu’un de ſa part, ou que l’Eſclave luy meſme l’allaſt trouver où il ſeroit Pour le Roy il n’en eſtoit pas ainſi : & il n’ignoroit pas que c’eſtoit