Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/651

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Il rapelloit encore en ſa memoire, l’exceſſive affliction qu’il avoit veüe dans ſes yeux lors qu’il eſtoit arrivé à Sinope & qu’il avoit voulu luy apprendre le naufrage de la Princeſſe. Enfin il ſoubçonnoit & craignoit que ſes ſoubçons ne fuſſent veritables. Il paſſa la nuit en cette inquietude, attendant Metrobate avec beaucoup d’impatience : qui ayant fait ſemblant d’aller s’informer tout de nouveau de ce que le Roy vouloit sçavoir : revint le trouver le matin dans ſon Cabinet où il eſtoit entre auſſi toſt qu’il avoit eſté achevé d habiller. D’abord que le Roy le vit, il s’avança vers luy ; & bien, luy dit il, Metrobate ; que m’aprendrez vous ? Artamene ſortira t’il de priſon, ou redoubleray-je ſes chaines ? Metrobate paroiſſant alors fort triſte, & faiſant comme un homme qui sçait pluſieurs choſes qu’il n’oſe dire : Seigneur, luy dit il, je vous demande pardon, de ce qu’il ſemble que je ſois deſtiné à n’aporter jamais que de fâcheuſes nouvelles à voſtre Majeſté. Cette eſpece de crime, repliqua Ciaxare, merite pluſtost recompenſe, que chaſtiment ny pardon : car pour l’ordinaire, les Rois n’apprennent que de leurs fidelles Serviteurs les choſes qui ne leur doivent pas plaire. Metrobate devenu encore plus hardy par ce que le Roy luy diſoit, luy conta alors comment il paroiſſoit par le diſcours que Mazare avoit fait à Artamene, que non ſeulement il aimoit, mais que meſme il n’eſtoit pas haï. Et il luy redit parole pour parole, tout ce que les Peſcheurs luy avoient dit. Quoy, s’eſcria Ciaxare, ma Fille sçauroit la folle paſſion d’Artamene & la ſouffriroit ? Ha ! Metrobate ſi cela eſt, il la faut laiſſer entre les mains du Roy d’Armenie : car ſi elle a dans le cœur la baſſesse d’une Eſclave,