Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/81

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Cette conversation fut fort tendre & fort touchante du costé du Roy, & fort sage & fort retenuë de la Princesse : ne descouvrant de sa douleur, que ce que la compassion & l’interest de l’Estat en devoient raisonnablement eau fer dans son ame, pour une semblable perte. Mais dés que le Roy fut party, elle m’envoya chercher : & comme je ne pouvois plus demeurer à Sinope, l’on me trouva que je me preparois à aller prendre congé d’elle. Comme je fus dans sa Chambre, Madame, luy dis je en m’aprochant de son lit, je viens vous demander la permission de m’en retourner au Camp : & qu’y voulez vous aller faire ? reprit la Princesse ; je veux, luy repliquay-je, aller voir si Chrisante n’aura point apris depuis mon départ, ce qu’est devenu le corps de mon illustre Maistre, que nous n’avons jamais pû trouver. Quoy, me dit la Princesse en soupirant, l’infortuné Artamene ne recevra pas mesme les honneurs de la Sepulture ? Non, Madame (luy dis-je, les yeux tous couverts de pleurs) si Chrisante n’en a rien sçeu depuis que je suis party. Elle me pressa alors de luy raconter exactement tout ce que je viens de vous aprendre : c’est à dire tout ce que j’avois veû le long de la riviere de Sangar ; & tout ce que je sçavois de la mort de mon Maistre. Apres que je luy eus tout dit, & que par un recit si funeste, je luy eus fait moüiller tout son beau visage de larmes : elle me pressa de nouveau, de luy vouloir dire son Nom. Car, dit elle, quelle bonne raison peut il avoir euë, de me le vouloir cacher ? le n’en sçay rien, Madame, luy respondis-je, & je vous advouë que je ne la comprens point du tour, veû la Grandeur de sa naissance. Mais enfin, ce n’est pas à moy à examiner les motifs par lesquels