Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/89

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Je vous laisse à juger, Seigneur, de combien de pensées differentes l’esprit de mon Maistre estoit agité : il voyoit bien qu’il retournoit à la Cour d’une façon tres glorieuse : puis qu’il y retournoit apres avoir gagné deux Batailles en un mesme jour, & apres avoir fait un Roy prisonnier. Mais il sçavoit que ce Roy estoit son Rival ; & peu s’en faloit, qu’il ne se repentist de l’avoir pris. La veuë de Philidaspe, renouvelloit aussi dans son esprit, le souvenir de tous leurs anciens different : & n’excitoit pas de petits troubles en son ame. Mais l’incertitude où il estoit, de sçavoir si j’aurois donné sa lettre à la Princesse, le tenoit en une inquietude estrangge. Il y avoit des moments, où il le desiroit : d’autres où il le craignoit : & d’autres où il demeuroit incertain entre les deux : & où il ne pouvoit regler ny determiner ses propres souhaits. Philidaspe de son costé, n’estoit pas sans peine il voyoit ressusciter son ennemy tout couvert de gloire : & le regardoit presque plus comme son Vainqueur, que ne faisoit pas le Roy de Pont : qui n’avoit point d’autre inquietude, que celle de la perte de sa liberté. Ce Prince qui en effet estoit le plus infortuné de tous en ce temps là, n’estoit pas toutefois celuy qui sentoit alors le plus son malheur : car il ne sçavoit pas que Philidaspe & Artamene fussent ses Rivaux t au contraire, il esperoit que mon Maistre le serviroit, & aupres du Roy, & aupres de Mandane ; si bien qu’il l’aimoit avec une tendresse extréme. C’estoit de cette sorte que ces trois illustres Amants de la Princesse de Capadoce, s’entretenoient en eux mesmes : pendant que celuy que mon Maistre avoit envoyé devant à Sinope, y alloit porter l’heureuse nouvelle de sa resurrection. Je