Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/108

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de moy. Car je n’avois pas meſme la penſée que ſes ſonges l’en peuſſent faire ſouvenir : puis que pour l’ordinaire ils ne ſe forment que des meſmes objets dont l’imagination a eſté remplie en veillant. Je veſcus de cette ſorte, ſans nulle conſolation, juſques à ce que je crûs que Meleſandre eſtoit retourné à Delphes : car alors l’avoüe que j’eus quelques momens de conſolation : dans la penſée que j’eus que cét officieux Amy luy parleroit de moy quelqueſfois, puis que j’avois laiſſé une lettre pour luy en partant, par laquelle je l’en priois. Mais ſi cette penſée avoit quelques inſtans de douceur, elle eſtoit auſſi toſt ſuivie d’une autre, qui me donnoit bien de l’inquietude : car ſi j’avois une ſi prodigieuſe envie de sçavoir de quelle ſorte elle parleroit de moy à Meleſandre, apres luy avoir deſcouvert ma paſſion ; que ce ne m’eſtoit pas une petite augmentation de chagrin. Enfin tout ce que je voyois m’emportunoit : je ne trouvois rien de beau ny d’agreable : j’avois une diſposition ſi forte à la colere, que les moindres fautes de mes gens, me faſchoient plus en cette ſaison, que les plus grandes n’avoient accouſtumé de faire en une autre. Je révois preſques touſjours : & ſi un ſentiment d’amour ne m’euſt perſuadé, qu’il faloit m’aquitter avec honneur de l’employ qu’on m’avoit donné ; je penſe que ma negociation ſe fuſt paſſée d’une eſtrange ſorte. Mais venant à conſiderer, que la gloire que j’en pouvois attendre me pourroit ſervir aupres de Teleſile, je fis un grand effort ſur mon eſprit ; & je ne fus pas pluſtost arrivé à Milet, que je commençay d’agir, & avec le plus d’adreſſe, & avec le plus de diligence qu’il me fut poſſible. Je ne m’amuſeray