Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

incommode, que s’il me fuſt arrivé quelque grand malheur. Durant ce temps là je ne pouvois preſques ſousrir que Meleſandre ; parce que je n’avois la liberté de parler de ma paſſion qu’aveques luy, & qu’il avoit la complaiſance de m’eſcouter favorablement : ce qui eſt ſans doute une des plus ſensibles conſolations, dont l’on peut joüir pendant l’abſence de ce que l’on aime. Mais enfin apres avoir long temps ſoupiré, Diophante revint, & ramena, Teleſile ; reſoluë d’éviter la converſation des hommes, autant que la bien ſeanse le luy permettroit. Je ne sçeus pas pluſtost qu’elle eſtoit revenuë à Delphes, que je fus chez Diophante, qui me reçeut avec beaucoup de civilité : Taxile fit la meſme choſe, auſſi bien que ſon adorable Fille ; avec cette difference touteſfois, que la civilité de Teleſile eſtoit froide & ſerieuse. Neantmoins j’eus une ſi grande joye de la revoir, & de me trouver chez elle ſans pas un de mes anciens Rivaux, que je ne fis reflexion ſur ce que je dis, qu’apres en eſtre ſorti, Cette premiere viſite ne fut pas fort longue : car comme ils eſtoient arrivez tard, la diſcretion ne me permit pas de demeurer davantage aupres d’eux. Ce ne fut donc que des yeux, que je parlay de ma paſſion à Teleſile ; qui ne voulut ny entendre, ny reſpondre, à un langage qu’elle ſeule m’avoit fait aprendre : puis que je n’avois jamais rien aimé qu’elle, & que je n’aimeray ſans doute jamais rien autre choſe. Mais comme je fus retourné dans ma chambre, la froideur de Teleſile me donna de l’inquietude ; & je creus que peut-eſtre s’eſtoit elle trouvée offencée du dernier diſcours que je luy avois tenu en partant. Neantmoins je ne laſſay pas d’eſperer, que ma perſeverance la toucheroit :