Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/121

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le lendemain je fis tout ce que j’avois accouſtumé de faire, auparavant que d’aller à Milet : & je fus au Temple où je sçavois qu’elle devoit aller. J’y trouvay Androclide, & la plus grande partie de ceux qui aimoient Teleſile avant mon départ : Mais ils avoient tous changé de place ; car au lieu de ſe mettre vers certaines colomnes de Marbre où Teleſile ſe met toujours, & où elle eſtoit lors que j’entray dans ce Temple, ils eſtoient diſpersez en pluſieurs autres endroits. Pour moy qui n’avois pas changé comme eux, je fus me mettre ſelon ma couſtume, en lieu où je pouvois voir Teleſile, & eſtre veû d’elle : d’abord elle n’y prit pas garde, parce qu’elle prioit les Dieux avec beaucoup d’attention : mais ayant tourné les yeux de mon coſté, je la ſalüay avec je ne sçay quel reſpect, qui fait ce me ſemble que l’on peut diſcerner une reverence de ſimple ceremonie, d’avec une qui s’adreſſe à une perſonne dont l’on eſt amoureux. Teleſile me rendit mon ſalut en rougiſſant : & il me ſembla qu’elle chercha des yeux Androclide, comme pour luy dire qu’elle n’eſtoit pas encore abandonnée de tout le monde. Et en effet s’eſtant aſſez tournée pour rencontrer ſes regards, quoy que ſon action paruſt eſtre ſans deſſein, Androclide changea de couleur & de place : & un moment apres il ſortit du Temple, comme un homme qui avoit honte de ſa laſcheté : & qui euſt eſté bien aiſe que j’euſſe eſté laſche comme luy. J’ay sçeu depuis que certainement ma conſtante paſſion, penſa renouveller la ſienne, Se ſurmonter tous les ſentimens avares de ſon cœur : Mais à la fin il ſe contenta de fuir Teleſile, & de me fuir moy meſme. Ne perdant donc pas une ſeule occaſion de voir la perſonne que j’aimois,