Thimocrate, pour ne vous abuſer pas, sçachez que toute maltraittée de la Fortune que je ſuis, je ne laiſſe pas d’eſtre glorieuſe ; & que je ſuis beaucoup plus difficile à perſuader, que je n’eſtois auparavant. Tout m’eſt devenu ſuspect, & je me la ſuis à moy meſme : c’eſt pourquoy changez de deſſein ſi vous m’en croyez. Vous le pouvez faire ſans honte à mon avis ; car quand on ſe jette parmy la multitude, pourſuivit elle en riant, on cache ſa fuitte par celle des autres. Mais ſi vous vous eſtiez obſtiné à me ſervir, & qu’apres vous vinſſiez à changer, vous ſeriez chargé de cette inconſtance toute entiere. Allez donc Thimocrate, allez : laiſſez Teleſile en paix, elle ne veut ny aimer ny eſtre aimée ; & elle ſe trouve ſi riche de ſa propre vertu, qu’elle ne veut rien aquerir davantage. Vous poſſedez pourtant mon cœur malgré vous, luy dis-je : & je le connoiſtray peut-eſtre auſſi malgré vous, reprit elle en riant encore : & ſe meſlant alors dans la converſation des autres perſonnes avec qui nous eſtions, le reſte de la promenade ſe paſſa, ſans que je luy puſſe rien dire de particulier, & ſans que meſme je puſſe parler à propos : Car j’avois l’eſprit ſi occupé à juger ſi j’avois lieu de craindre ou d’eſperer, que je ne sçavois pas trop bien ce que l’on diſoit.
La perſévérance de Thimocrate finit par le faire accéder au ſtatut d’amant unique & reconnu de Teleſile. La jeune fille commence à ſe laiſſer fléchir. Mais Thimocrate ſe voit impoſer par ſon père un nouveau voyage deſtiné à le tenir à diſtance de Teleſile qui, déſhéritée, ne préſente plus d’intérêt d’alliance. A Megare, il fait la connaiſſance d’une autre jeune fille, moins ſéduisante, dénommée Pheretime. Cette fréquentation lui permet de ſatisfaire ſon père, mais elle lui attire également la rancœur de Teleſile qui en a été informée. Heureuſement un entretien permet une clarification & un rétabliſſement de la relation. Toutefois le ſort s’acharne ſur les amants : les occaſions d’abſence ſont multiples & créent un ſentiment de fruſtration.
Mais pour acourcir mon diſcours, je vous diray en peu de paroles, que cent mille ſoins que je rendis, toucherent enfin le cœur de Teleſile, qui sçavoit bien que ſon Pere approuvoit mon affection : & elle trouva quelque choſe de ſi obligeant en mon procedé aupres d’elle, qu’elle eut peut-eſtre autant de reconnoiſſance pour ma reſpectueuse paſſion, qu’elle avoit de mépris pour ceux qui l’avoient abandonnée. En un mot, j’en vins au point avec elle,