Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/126

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qu’elle croyoit que je l’aimois, & qu’elle ſouffroit que je le luy diſſe. Cependant Androclide ne pouvant plus endurer ny la veuë de Teleſile ny la mienne, s’en alla aux champs : une partie de ſes autres Amants firent la meſme choſe : & j’eſtois preſques heureux. Car je voyois tous les jours Teleſile ; & elle avoit la bonté de me teſmoigner qu’elle me voyoit agreablement. Elle ne m’avoit pourtant jamais dit preciſément qu’elle ne me haiſſoit pas : mais un jour que j’allay chez elle, & que je trouvay l’occaſion de luy parler ; elle me dit qu’il venoit d’arriver une nouvelle, qui feroit qu’Androclide la haïroit encore davantage, qui eſtoit qu’Atalie eſtoit en eſtat de donner bien toſt un ſuccesseur à Crantor. Elle dit cela comme il eſtoit : mais elle le dit en me regardant avec aſſez d’attention ; afin de voir ſur mon viſage les mouvemens de mon eſprit. Non non, luy dis-je, malicieuſe Teleſile, vous ne trouverez rien dans mes yeux, qui n’exprime les ſentimens de mon cœur : & vous ne pouvez rien trouver dans mon cœur, qui ſoit indigne de la poſſession du voſtre. Je le ſouhaite, me dit elle avec precipitation : A peine eut elle prononcé cette derniere parole, qu’elle en rougit comme d’un crime : & qu’elle voulut en affoiblir le ſens obligeant que j’y pouvois donner : Mais ce fut avec une ſi agreable confuſion, que je mets ce moment là au nombre des plus heureux de toute ma vie. Bien eſt il vray qu’il fut ſuivi d’un aſſez grand malheur : puis que je ne fus pas pluſtost au logis, que mon Pere me fit apeller, & me dit qu’il avoit beſoin de moy, en un voyage qu’il commenceroit le lendemain ; & que je me preparaſſe à partir. Je taſchay inutilement de m’en excuſer, ſans comprendre la raiſon pourquoy on me refuſoit :