Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/131

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changé. Je ne joüis pourtant pas long temps de ce calme, pendant lequel j’avois de ſi doux moments : & par un caprice de la Fortune, nous fuſmes preſques toujours ſeparez. Tantoſt il y avoit un de mes Amis qui avoit querelle, à qui par un ſentiment d’honneur il falloit que je m’attachaſſe, & que je le ſuivisse hors de Delphes : une autrefois Diophante demeura malade aux champs, où Teleſile le fut trouver : en ſuitte, une Feſte publique l’y retint : & il y eut meſme des abſences ſans ſujet, & où il ſembloit que la Fortune n’euſt autre deſſein que de nous perſecuter. Il y en eut de longues, de courtes, d’impreveuës, de premeditées : je ne revenois pas pluſtost à Delphes qu’elle en partoit : Elle n’y revenoit pas auſſi pluſtost que j’en partois : & je puis dire de plus, que je n’ay jamais quitté Teleſile, qu’il ne me ſoit arrivé quelque malheur. Nous avions touſjours quelque petite querelle, que la ſeule abſence nous cauſoit : & je me ſouviens meſme qu’un jour je fus aſſez bizarre pour me pleindre de ce que je la trouvois trop belle à mon retour. Car, luy diſois-je, adorable Teleſile, ſi mon abſence vous avoit touchée, comme la voſtre m’a affligé, je verrois que la fraicheur de voſtre teint ſeroit un peu ternie : & je verrois encore dans vos yeux quelque impreſſion de melancolie, qui me donneroit une joye eſtrange. Où au contraire j’y voy une joye qui m’inquiete : par la crainte que j’ay qu’elle n’y ait touſjours eſté, pendant que je n’eſtois pas aupres de vous : & que ce ne ſoit pas mon retour ſeul qui la cauſe. En un mot, j’eſprouvay l’abſence de toutes les façons dont on la peut eſprouver ; & je ſouffris ſans doute tout ce qu’un Amant peut ſouffrir. Mais ſoit que je m’eſloignasse par une raiſon qui me fuſt avantageuſe,