Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/134

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long temps à voyager ; qui devint amoureux de Teleſile & qui n’ayant point de part au crime des autres, me donna auſſi plus d’inquietude. Car comme il eſt bien fait ; que ſa naiſſance eſt illuſtre ; & ſa Maiſon tres puiſſante en biens, je trouvois lieu de m’en affliger. Neantmoins Teleſile agiſſoit ſi ſagement, que ſa ſeule veuë diſſipoit toutes mes frayeurs, & me laiſſoit quelqueſfois aſſez de liberté d’eſprit, pour rire des actions contraintes de tous ces laſches Amants : qui n’oſoient preſques parler, tant la honte les poſſedoit, & abatoit leur eſprit. Toutefois ils ſuivoient touſjours Teleſile, & la voyoient malgré elle : Pour Androclide il fut plus prudent ; car il ne ſongea pas moins à gagner Diophante, qu’à pouvoir appaiſer ſa fille : & je ne sçay de quels moyens ſe il ſervit ; mais je fus adverti qu’il avoit aſſez de part dans ſon eſprit ; & que peut-eſtre ſeroit il bientoſt choiſi par Diophante pour eſtre le Mari de Teleſile. Je fus à l’inſtant meſme chez elle, afin de luy aprendre ma crainte, & de luy demander quelque nouveau teſmoignage d’affection pour me raſſurer : mais j’y trouvay Androclide, qui devenu plus hardi par l’eſperance que Diophante luy avoit donnée, luy avoit parlé de ſa paſſion plus ouvertement qu’il n’avoit fait, depuis la mort de Crantor. Comme je sçeus en bas qu’Androclide eſtoit ſeul avec elle, je montay avec precipitation : & arrivant à la porte de la chambre, je m’arreſtay ; ne sçachant ſi je devois eſcouter ce qu’ils diſoient, ou entrer ſans les eſcouter. Mais comme la porte eſtoit ouverte, & que la Tapiſſerie qui me cachoit, n’empeſchoit pas que je n’entendiſſe ce que l’on diſoit dans la chambre ; j’oüis que Teleſile luy diſoit avec un ton de voix aſſez fier : Non Androclide, ne vous y trompez pas : ce n’eſt