Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

point à moy à vous recompenſer des ſoins que vous me rendez, ni de ceux que vous m’avez rendus : car comme ce n’eſt point Teleſile que vous avez aimée, ni que vous aimez, ce n’eſt point auſſi à elle à vous en avoir obligation. J’avoüe qu’entendant un diſcours qui m’eſtoit ſi agreable, je me reſolus de n’entrer pas ſi toſt : & c’eſt la ſeule fois que j’ay pu comprendre que l’on peuſt preferer quelque choſe, à la veuë de la perſonne aimée. J’entendis donc qu’Androclide reprenant la parole, luy dit qu’il n’avoit conſideré les threſors de Crantor que pour l’amour d’elle : dittes pluſtost pour l’amour de vous, luy repliqua Teleſile ; & sçachez que quand vous employeriez toute voſtre vie à me vouloir perſuader que vous m’aimez, je ne le croirois pas. Non non, luy dit elle, Androclide, je ne m’eſtime pas ſi peu, que je veüille un cœur partagé : & partagé encore pour une choſe indigne d’eſtre balancée avec Teleſile, & qui eſt l’objet de toutes les ames baſſes. Enfin je pardonnerois bien pluſtost à un inconſtant qui m’auroit quittée pour une plus belle que moy : qu’à un avare qui m’a abandonnée des que je n’ay plus eſté riche. Car avoüez la verité, luy dit elle, ſi j’avois aſſez de folie pour vous eſpouser, & que par malheur je vinſſe à perdre tout ce qui cauſe voſtre paſſion : qu’il ne me reſtast ny grandes Terres ; ny Pierreries ; ny mangifiques Meubles ; ny ſuperbes Maiſons : & que Teleſile demuraſt ſeulement avec tous les charmes que vous trouvez en elle depuis qu’elle eſt riche ; avoüez la verité Androclide, l’aimeriez vous encore, & la trouveriez vous belle en ce temps là ? Je n’en doute nullement, luy reſpondit il tout confondu : & je ne le crois point du tout, repliqua t’elle. Mais Androclide, adjouſta Teleſile, je