Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fort touchée de mon malheur, que par bonté elle nommoit le ſien ; je ne pouvois ſouffrir la privation de ſa veuë. Cependant je penſay eſtre pris trois ou quatre fois : & il falut changer le lieu de ma retraite plus de ſix ; parce que nous eſtions advertis Meleſandre & moy, que l’on avoit deſcouvert où j’eſtois. Et certes il n’eſtoit pas fort eſtrange ni fort difficile : car à mon advis tous mes Rivaux eſtoient les Eſpions de ceux qui me pourſuivoient. De ſorte que Teleſile ne pouvant plus endurer que je m’expoſasse inutilement pour elle : m’écrivit un Billet, par lequel elle me commandoit abſolument de ſortir non ſeulement de Delphes & de la Phocide, mais de m’éloigner meſme le plus qu’il me ſeroit poſſible de toute la Grece. Depuis que j’eſtois caché, j’avois eſcrit tres ſouvent à Teleſile, ſans qu’elle euſt voulu me reſpondre : touteſfois aprenant par Meleſandre que je m’obſtinois à ne vouloir point ſortir de la Ville, quoy que mon Pere y fiſt tous ſes efforts : elle ſe reſolut de le faire, comme je viens de le dire. Apres avoir leû ſon Billet, je luy reſpondis que ſi elle vouloit que je partiſſe, il faloit du moins qu’elle me permiſt de la voir & de luy dire adieu. Meleſandre fit tout ce qu’il pût, pour m’empeſcher de luy demander une grace qui m’expoſeroit beaucoup, & que peut-eſtre Teleſile ne m’accorderoit pas : mais je luy dis que je n’en ferois autre choſe, & qu’abſolument je ne partirois point de Delphes, que je n’euſſe parlé à Teleſile. Ce fidelle Amy fut donc la trouver, & luy dire ma derniere reſolution : elle s’en faſcha ; elle m’en dit preſques des injures, en parlant à Meleſandre : elle luy dit que mon affection eſtoit inconſiderée : que ſa gloire ne m’eſtoit pas chere : que je n’avois point de raiſon : que je