Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/148

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Thimocrate, adjouſta cette vertueuſe Perſonne, il ne faut pas meriter noſtre infortune par une foibleſſe : & il ne faut jamais ſe fier tant en ſa prudence, que l’on ne laiſſe quel que choſe à la conduitte des Dieux : qui auſſi bien malgré toutes nos reſistances, nous menent où ils veulent que nous allions. J’avouë que de la façon dont Teleſile me fit ce diſcours, j’avois quelque ſujet d’en eſtre content, cependant je ne le fus pas : & je la preſſay encore ſi opiniaſtrément, qu’elle penſa s’en mettre en colere : voyant que je ne voulois point partir, ſi elle ne me promettoit tout ce que je voulois. Elle appella alors Meleſandre à ſon ſecours & ſa Parente auſſi qui revint où nous eſtions : & quoy que je peuſſe faire je n’en pus jamais obtenir autre choſe. Elle me commanda donc ſi abſolument de partir, & de m’eſloigner le plus que je pourrois, qu’il falut enfin s’y reſoudre : Meleſandre me voulut faire eſperer, qu’auſſi toſt que j’aurois obeï, on travailleroit à faire revoquer mon Arreſt : mais un homme deſesperé de s’en aller, n’eſtoit pas capable de recevoir nulle conſolation. Cependant Teleſile me quitta, ſans que je puſſe prononcer une ſeule parole, car dés que j’eus remarqué par ſon action qu’elle avoit deſſein de ſe retirer, la raiſon m’abandonna ; & je ne sçay plus ny ce qu’elle me dit, ny ce que je fis. Je sçay ſeulement qu’elle me tendit la main, que je luy baiſay aveque reſpect, & qu’elle diſparut à mes yeux un moment apres : de ſorte que n’eſperant plus de revoir Teleſile, je ne ſongeay plus qu’à partir. J’euſſe pourtant bien voulu me battre contre Menecrate : mais Meleſandre me fit comprendre que Teleſile ayant cent Amants, ce ſeroit une bizarre choſe, ſi j’entreprenois de les vouloir tous tuer.