par exemple, que c’eſt un mal qui comprend tous les autres maux. En effet comme l’amour prend naiſſance par la veuë, & qu’elle s’entretient par elle, il s’enſuit ſans doute que l’abſence eſt ce qui luy eſt le plus oppoſé : & que comme il n’eſt rien de plus doux, que de voir ce que l’on aime ; il n’eſt auſſi rien de plus cruel que de ne le voir pas. Les abſences quand elles ſont courtes augmentent l’amour : quand elles ſont longues elles la changent en fureur & en deſespoir : quand elles ont un terme limité, l’impatience fait que l’on n’a point de repos : & quand leur durée eſt incertaine, le chagrin trouble toute la douceur de l’eſperance. Enfin ſoit qu’elles ſoient longues, courtes, ſans terme, ou limitées, premeditées, ou impreveües, je ſoustiens qu’à quiconque sçait aimer, elles ſont inſuportables : & bref, que l’abſence comprend tous les autres maux, & eſt la plus ſensible de toutes les douleurs. En effet, celuy qui ſoustient que n’eſtre point aimé, eſt le plus grand ſuplice de l’amour ; n’a t’il pas tort, de mettre ſa ſouffrance en comparaiſon de la mienne ? puis qu’à parler de ces choſes en general, celuy qui voit ſes ſervices meſprisez, durant un temps conſiderable, doit trouver le remede de ſon mal dans ſon propre mal : & par un genereux reſſentiment, ſe guerit d’une paſſion ſi mal reconnuë. Mais à un Amant abſent & aimé, que luy reſte t’il à faire qu’à ſouffrir ? car de s’imaginer que le ſouvenir des plaiſirs paſſez ſoit doux, c’eſt une erreur en amour quand on eſt abſent : puis qu’au contraire la juſte meſure des douleurs en ces rencontres, eſt celle des felicitez dont on a joüy, & dont on ne joüit plus. Celuy qui regrette une Maiſtresse morte, eſt ſans doute digne de compaſſion : Mais apres tout, il y a encore une
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