Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/151

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notable difference de luy à un Amant abſent, de la façon dont je l’imagine. J’avouë toutefois qu’à ne conſiderer que les premiers jours de cette abſence eternelle, que la mort cauſe entre les Amants qu’elle ſepare, c’eſt la plus grande douleur de toutes les douleurs : mais il faut auſſi que l’on m’accorde, que le plus grand mal de la mort en ces funeſtes rencontres, eſt l’abſence de l’objet aimé. Apres cela je ne craindray point de dire, qu’auſſi toſt que ce grand coup qui eſtourdit la raiſon a fait ſon premier effet, l’ame ſe trouvant en eſtat de ne plus rien craindre, & de ne plus rien eſperer : vient peu à peu malgré elle, dans un certain calme, qui appaiſe inſensiblement le tumulte de ſes paſſions, & qui affoiblit inſensiblement auſſi la douleur de celuy qui la ſouffre. De ſorte que tous les momens de ſa vie les uns apres les autres, emportent, ou du moins diminuënt quelque choſe de ſon déplaiſir. Mais l’abſence où l’eſperance & la crainte, & toutes les autres paſſions agiſent, eſt un ſuplice qui augmente tous les jours ; & qui n’a point de remede que ſa propre fin, ou celle de celuy qui la ſouffre. Mais, me dira t’on, la jalouſie l’emportera du moins ſur l’abſence : Mais (reſpondray-je à ceux qui le diront) qui eſt ce qui a eſté long temps abſent ſans eſtre jaloux ? & quels effets peut cauſer la jalouſie, que l’abſence ne cauſe auſſi bien qu’elle ? Il y a touteſfois cette diſtinction à faire, qu’un jaloux qui voit ſa Maiſtresse a d’heureux momens ; & qu’un Amant qui ne la voit point n’en sçauroit avoir. Et puis il y a une ſi grande difference entre une douleur qui quelqueſfois n’eſt fondée que ſur un caprice, & une que la raiſon appuye & authoriſe ; qu’il ne faut que conſiderer la choſe pour la connoiſtre. Un