Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/174

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Cleobuline, ou par mon propre bonheur, la Princeſſe des Lindes me fit la grace de prendre mon parti : & que toute la Cour à ſon exemple, fit quelque difference de Philocles à Antigene. Mais en recompenſe auſſi, la belle Philiſte en fit natablement d’Antigeno à Philocles. Car ſoit en converſation, en promenade, ou en bol, je voyois tous les jours faite mille choſes qui me déplaiſoient, à la perſonne du monde qui plaiſoit le plus, malgré moy. Je dis malgré moy ; parce qu’il eſt certain que je fis tout ce que je pûs pour ne l’aimer pas, mais il me fut impoſſible : & il y avoit je ne sçay quel air galant & enjoüé dans ſon eſprit, qui faiſoit que je ne luy pouvois reſister. De ſorte que je me trouvay tres malheureux, dés les premiers jours de ma paſſion : & plus malheureux que ceux qui le ſont par cent mille accidens qui peuvent arriver en amour ; eſtant certain que l’averſion toute ſimple eſt une choſe que l’on ne sçauroit preſque jamais vaincre par adreſſe. La cruauté ſe laiſſe fléchir par des larmes : la fierté, par des ſoumissions : une humeur imperieuſe ſe gagne par une obeïſſance aveugle : une perſonne inconſtante revient quelqueſfois de ſa foibleſſe par une fermeté ſans égale : & l’on sçait au moins ce qu’il faut faire pour ſe ſoulager. Mais lors qu’il s’agit de vaincre une averſion ſans ſujet, toute la prudence humaine n’y sçauroit rien faire : puis qu’il eſt vray que c’eſt une choſe qui change tous les objets, auſſi bien que la jalouſie. Cependant je ne trouvois pas meſme que je puſſe avoir la conſolation de me pleindre de Philiſte. Car, diſois-je, que veux-je qu’elle face ? elle a un ſentiment qui eſt né dans ſon cœur ſans ſon conſentement, & où ſa raiſon n’a rien contribué : & puis qu’