Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/175

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il y a des gens qui haïſſant les roſes, que tant d’autres perſonnes aiment ; comment puis-je vouloir mal à Philiſte de la haine ſecrette qu’elle a pour moy ? Auſſi fut-ce par ce raiſonnement, que je m’obſtinay à l’aimer : la choſe en vint pourtant aux termes, que quoy que Philiſte ne fuſt pas incivile, elle ne pût touteſfois eſtre diſſimulée : & l’on s’aperçeut en meſme temps, & de quelque legere inclination qu’elle avoit pour Antigene, & d’une aſſez forte averſion qu’elle avoit pour moy. Pour peu qu’il diſt quelque choſe d’agreable, elle le loüoit avec excés : & quand j’euſſe dit les plus belles choſes du monde, elle n’en auroit jamais fait apercevoir les autres, ny fait ſemblant de s’en apercevoir elle meſme. Si elle dançoit dans quelque Aſſemblée avec Antigene, c’eſtoit d’un air qui faiſoit aiſément connoiſtre qu’elle eſtoit menée par une main qui luy plaiſoit : elle en avoit meilleure grace ; ſes yeux en eſtoient plus brillans & plus guais ; elle en dançoit plus légerement & plus agreablement : elle attiroit les regards de toute la Compagnie, & leur donnoit autant de plaiſir, qu’elle me cauſoit de chagrin & d’admiration tout enſemble. Mais au contraire lors que je l’allois prendre, quelque contrainte qu’elle ſe fiſt, ce n’eſtoit plus la meſme perſonne : & je penſe que ſi elle n’euſt eu peur qu’Antigene l’euſt veuë mal dancer, elle n’euſt pas meſme eſté en cadence ; tant elle avoit une action languiſſante & negligée : & la choſe en fut a tel excés, que la Princeſſe luy en parla un jour. Philiſte, luy dit elle, je vous avois priée de cacher la moitié de vos charmes à Philocles ; mais je n’avois pas entendu que vous luy montraſſiez coure voſtre incivilité. & il me ſemble vous ne feriez pas mal de partager un peu plus également les graces