Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/188

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mal-traitté. Si cela alloit de cette ſorte, diſois-je, je ne me juſtifierois pas dans l’eſprit de Philiſte : puis qu’elle auroit lieu de croire que je ne vous quiterois que parce que vous m’auriez chaſſé : & en effet c’eſtoit l’intention de Steſilée, que Philiſte le creuſt ainſi. Mais, reprit elle Philocles, croyez vous que la jalouſie ſoit un mauvais moyen pour ſe faire aimer ? Pour moy, adjouſta t’elle, je le croy ſi bon, que je ſuis perſuadée que ſi vous aimiez veritablement quelque autre perſonne que Philiſte, elle vous en aimeroit pluſtost. Ouy, luy dis-je, mais vous ne ſongez pas que ſon affection me ſeroit alors indifferente ſi je ne l’aimois plus. Il eſt vray, repliqua t’elle toute interditte ; mais ſi cette autre eſtoit moins injuſte que Philiſte, vous ſeriez touſjours heureux. Steſilée prononça ces paroles d’une certaine façon, qui me fit connoiſtre que la tendreſſe de ſon amitié, eſtoit d’une nature differente de la mienne : & j’en eus une inquietude ſi grande, que le reſte de la converſation ſe paſſa avec une ambiguité de paroles de part & d’autre, qui nous perſuada pourtant à mon avis, que nous nous entendions bien tous deux. Mais comme je ne pouvois changer mon cœur, & que je ne voulois pas auſſi tromper une perſonne pour qui j’avois une veritable amitié : je me ſeparay d’elle en me pleignant, & en luy donnant ſans doute ſelon ſes ſentimens beaucoup de ſujet de ſe pleindre ; par la cruelle reſolution que je prenois, de ne luy parler plus en particulier, & de ne luy parler meſme que rarement. Cependant comme cette viſite fut sçeuë d’Antigene, & qu’elle fut fort longue, le changement que j’apportay à ma forme de vivre avec Steſilée, ne fit pas l’effet que j’en attendois : & il courut un bruit que cét eſloignement eſtoit une choſe