Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il falut dire adieu à Philiſte, ce fut une eſtrange choſe ; & Antigene & moy nous donnaſmes bien de la peine : car nous nous y trouvaſmes enſemble ; & je le contraignis par mon opiniaſtreté, à en partir en meſme temps que moy. J’eus donc la ſatisfaction de l’empeſcher de dire rien de particulier à Philiſte : mais l’eus auſſi le déplaiſir de voir une notable difference dans les adieux de cette belle Perſonne. Toutes les fois qu’elle rencontroit les yeux d’Antigene en cette derniere converſation, je voyois dans les ſiens malgré elle, je ne sçay quel nuage melancolique, qui ſans en diminuer l’éclat, en augmentoit la douceur : & quand par haſard elle rencontroit les miens, je n’y voyois que de l’indifference, ou du chagrin. Elle me dit adieu preſques ſans me regarder : & ſuivit ce me ſembla des yeux le trop heureux Antigene, le plus loin qu’il luy fut poſſible : car je me retournay deux fois apres l’avoir quittée. De vous dire de quelle façon nous veſcusmes durant noſtre navigation Antigene & moy, il ſeroit ſuperflu, eſtant aiſé de vous l’imaginer. Nous reſvions preſques touſjours, & ne parlions jamais de la choſe du monde à quoy nous penſions le plus. J’avois pourtant une ſensible conſolation, de ce que j’emmenois mon Rival ; pour Steſilée, je ne pûs prendre congé d’elle, quoy que j’en cherchaſſe les occaſions ; & le dépit, la douleur y & la gloire, firent qu’elle ne voulut pas me donner de nouvelles marques de foibleſſe. Enfin nous arrivaſmes à Corinthe, où Periandre & la Princeſſe Cleobuline me reçeurent avecque joye : mais il n’y avoit plus de plaiſirs pour moy ; & je fuyois autant la converſation, que j’avois accouſtumé de la chercher. Le ſeul Arion eſtoit ce qui me conſoloit un peu : car comme me il a beaucoup d’eſprit, &