Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/191

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qu’il a l’ame tres paſſionnée ; je trouvois dans ſon entretien & dans ſes chanſons je ne sçay quel charme puiſſant, qui ſuspendoit mes douleurs, & qui m’empeſchoit de mourir.

Cependant j’eſtois deſesperé de ce qu’Antigene ne s’engageoit point à quelque nouvelle paſſion ; je veſcus donc pres d’un an de cette ſorte : mais à la fin on sçeut qu’Alaſis Pere de Philiſte venoit avec ſa fille (car il n’avoit plus de femme) habiter à ſon ancienne Patrie. Dieux, que cette nouvelle me cauſa de joye ! il eſt vray qu’elle fut temperée, parce que j’apris en meſme temps, qu’un Frere aiſné de Philiſte avoit eſpousé Steſilée, quelques jours auparavant que de partir de Jaliſſe, & qu’elle venoit auſſi. J’eus ſans doute quelque douleur de ce mariage : neantmoins j’eſperay que comme Steſilée avoit de la vertu, le changement de ſa condition en auroit aporté à ſon ame : & qu’au contraire il me ſeroit avantageux d’avoir une Amie ſi proche parente de Philiſte. Antigene de ſon coſté eſtoit ſi aiſe, que ſa joye paroiſſoit en toutes ſes actions, ce qui ne troubla pas peu la mienne : mais enfin cette belle Compagnie arriva. Je vous laiſſe à penſer ſi j’avois preparé l’eſprit de Periandre, celuy de l’illuſtre Meliſſe, & celuy de la Princeſſe Cleobuline, à bien recevoir une Perſonne qui m’eſtoit ſi chere : & je fus meſme aſſez heureux pour n’ignorer pas que Philiſte sçeuſt que je luy avois rendu cent bons offices. Mais quoy qu’elle avoüaſt m’en eſtre obligée, elle ne m’en aima pas davantage : & elle arriva à Corinthe, la meſme perſonne que je l’avois laiſſée à Jaliſſe : c’eſt à dire belle, tres fiere pour moy, & aſſez douce pour Antigene. Quant à Steſilée, j’y vy un notable changement : car ſa beauté eſtoit un peu diminuée ; & elle avoit une