Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/202

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beaucoup d’obligation, ſi vous ne me reduiſiez pas dans la faucheuſe neceſſité de faire une reſistance ouverte à mon Pere : & que de vous meſme vous priſſiez la reſolution de m’abandonner. De vous abandonner Madame ! (luy dis-je avec une douleur extréme) eh Dieux ! comment vous pourrois-je obeïr ? Mais aimerez vous mieux, dit elle, que je vous regarde comme mon perſecuteur ? que de l’indifference où je ſuis pour vous, je paſſe à la fureur contre vous, & au deſespoir contre moy meſme ? & qu’enfin vous me rendiez auſſi malheureuſe, que vous eſtes infortuné ? Vous pouvez bien juger, me dit elle, que ſi je vous pouvois aimer, j’obeïrois à mon Pere ; car ſi cela eſtoit, que manqueroit il à mon bonheur ? mais ne le pouvant pas, quelle juſtice y a t’il à vouloir de moy des choſes qui n’en dépendent point ? y a t’il jamais eu de domination ſi tirannique, que celle que l’on pretend avoir ſur mon ame ? Penſez à vous Philocles, penſez à vous : & s’il vous reſte quelque raiſon, ſervez vous en pour adoucir vos malheurs, & pour faire ceſſer les miens. Quoy Madame, luy dis-je, vous pretendriez que je vous laiſſasse dans la liberté d’eſpouser Antigene ! Ha ! non non, je vous aime trop pour y conſentir. Si j’eſtois perſuadé, pourſuivis-je, que le meſpris que vous avez pour moy, fuſt cauſé par une ſimple averſion naturelle que vous ne pourriez vaincre : j’ay une paſſion ſi reſpectueuse pour vous, que je ſerois capable de me reſoudre à mourir, en me reſolvant de ne vous donner plus jamais aucune marque de mon amour & de ne vous perſecuter plus. Mais injuſte Perſonne que vous eſtes, cette averſion que vous avez pour moy, eſt fortifiée par l’inclination que vous avez pour Antigene : & vous ne voulez bannir Philocles,