Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/212

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s’ils ne le gueriſſent pas : le ſouvenir des choſes agreables, accompagné de l’eſperance du retour, donne certainement d’aſſez douces heures, quoy que Thimocrate en veüille dire : & je ne sçay meſme ſi le plaiſir de revoir ce que l’on aime, apres en avoir eſté privé quelques jours ; n’eſt pas plus grand, que tous les maux que l’abſence peut cauſer. Mais de s’imaginer que l’on n’eſt point aimé, & qu’on ne le ſera jamais : c’eſt un ſuplice que l’on ne peut comprendre, à moins que de l’avoir eſprouvé : & par lequel l’abſence toute ſimple ne peut entrer en comparaiſon de cette grande abſence dont je parle : elle qui comprend toute ſorte d’abſences : puis que meſme en la preſence de ce que l’on aime, me, on eſt eſloigné de ſon cœur & de ſon eſprit. Je confeſſe ſans doute que la mort d’une Maiſtresse, eſt plus rigoureuſe que l’abſence : Mais je n’endureray pas que l’on die, que celuy qui n’eſt point aimé ſoit moins malheureux, que celuy qui pert ce qu’il aime. Ce dernier mal eſt certainement un mal violent : touteſfois ſuivant l’intention de la Nature, il perd quelque choſe ſa force, dés qu’il eſt arrivé à ſon terme. Mais celuy que je ſouffre, contre l’ordre de tout l’Univers, eſt violent & durable. Plus il dure, plus il s’augmente : où l’autre au contraire, deminuë en avançant. L’impoſſibilité de pouvoir reſſusciter une perſonne morte, fait que l’ame ſe repoſe malgré elle dans ſa propre douleur : Elle s’enferme, pour ainſi dire, dans le Tombeau de ce qu’elle aime : & s’aſſoupissant parmi l’eſpaisseur des Tenebres du Cercueil, elle y languit à la fin plus qu’elle n’y ſouffre, & il y a meſme quelque ſorte de conſolation, à arroſer de ſes larmes les cendres de ſa Maiſtresse. Mais un Amant meſprisé, qui ſe