Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/211

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donc noſtre ancienne amitié : & je m’en retournay à Corinthe, avec la permiſſion de faire sçavoir ſon inconſtance à Philiſte : eſperant que peut eſtre cela me pourroit ſervir. Mais helas cette eſperance fut bien mat fondée ! car ne pouvant ſe vanger ſur Antigene de ſon infidelité, elle s’en vangea ſur moy : & me traitta plus cruellement, qu’elle n’avoit encore fait. En ce temps là ſon Pere mourut ; ſi bien que n’ayant plus nul eſpoir, & elle agiſſant avec plus d’authorité qu’elle ne faiſoit pendant qu’Alaſis eſtoit en vie, il falut ne la plus voir. Et pour achever mon malheur, cette cruelle Fille qui eſtoit revenuë en ſanté, & plus belle que jamais ; s’en retourna à Ialiſſe, chez une Tante qu’elle y avoit (car ſa Mere eſtoit de ce païs là) & elle y fut mariée quelque temps apres : ſans m’avoir jamais donné que des marques d’averſion, ou à tout le moins d’indifference.

Et par conſequent je pais dire, que non ſeulement j’ay eſté privé de toutes les douceurs de l’amour : mais que l’en ay eſprouvé tous les ſuplices : n’y en ayant point ſans doute qui eſgale celuy là. Auſſi ne pûs-je plus ſouffrir le lieu où je l’avois ſi long temps enduré : & malgré tout ce que l’on me pût dire, je quittay Corinthe, & je m’en retournay en Chipre : où j’ay continue d’adorer comme je fais encore cette rigoureuſe Perſonne. De ſorte que ſans pouvoir jamais eſperer d’eſtre aimé, je voy bien que j’aimeray touſjours : & que par conſequent je ſeray touſjours malheureux. L’abſence eſt ſans doute un mal tres ſensible : mais eſtre abſolument eſloigné du cœur de la perſonne que l’on aime, eſt une choſe bien plus cruelle, que de n’eſtre eſloigné que de ſes yeux. Ce mal a cent mille remedes qui le ſoulagent du moins,