Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/214

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ne vont qu’à taſcher d’obtenir le bien d’eſtre aimé ; c’eſt la ſeule recompenſe de l’amour : c’eſt le ſeul ſentiment qui donne le prix à toutes les faneurs : ſans celuy là tout le reſte n’eſt rien : & c’eſt pour l’aquerir que l’on ſouffre des années entieres. Faut il donc s’eſtonner ſi eſtant privé de ce qui eſt le terme & le ſouhait de tous les Amans qui ont aimé, qui aiment, & qui aimeront ; je ſoutiens que je ſouffre plus, que perſonne ne sçauroit ſouffrir ? & que par conſequent, ce ſeroit me faire une injuſtice extréme, que de ne me pleindre pas plus que tous les autres malheureux. Ce fut de cette ſorte que Philocles acheva de raconter ſon Hiſtoire, & de dire ſes raiſons : qui ſemblerent ſi fortes à Marteſie, qu’elle ne pût s’empeſcher de dire tant de choſes contre Philiſte, que Philocles fut contraint de prendre ſon parti, & de la vouloir encore excuſer. Pour moy, dit Cyrus, quoy que je la blaſme, je ne laiſſe pas de la pleindre auſſi bien que Philocles : car il faut que les Dieux ſoient bien irritez contre elle, de luy avoir fait regarder comme un malheur, ce qui pouvoit la rendre tres heureuſe. Mais puis qu’elle eſt elle meſme la cauſe de la perte de ſon bonheur, reprit Erenice, il me ſemble Seigneur, qu’elle a merité de le perdre. Ainſi Philocles, interrompit Aglatidas, en eſt ſans doute plus à pleindre : car ſi la Fortune avoit toute ſeule traverſé ſes deſſeins, il ſe conſoleroit plus aiſément, que de voir que Philiſte les a détruits. Ce mal eſt grand, reprit Thimocrate : mais quand je ſonge à celuy que je ſouffre, il me paroiſt bien petit. Je le trouve pourtant plus inſupportable que le voſtre, luy repliqua le Prince Artibie, & neantmoins mille degrez au deſſous du mien : eh pleuſt aux Dieux que l’adorable Perſonne