Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/234

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Leontine toute belle & toute parfaite, n’eſt plus qu’un peu de cendre : que je m’eſtonne qu’il y ait des gens qui oſent me diſputer le premier rang parmi les infortunez. Je sçay bien encore que n’eſtre point aimé eſt un fort grand malheur : mais perdre une perſonne qui nous aime, & la perdre pour toujours, en eſt un beaucoup plus ſensible. Car enfin celuy qui n’eſt point aimé, ſouhaitte un bien qu’il n’a jamais eſprouvé, & dont il ne connoiſt pas les douceurs : au lieu que voir mourir une perſonne qui nous a honnorez de ſon affection, c’eſt perdre un threſor que l’on poſſede, & dont on sçait toute la richeſſe. Apres tout, l’eſperance peut encore trouver place dans le cœur de l’Amant de toute la Terre le plus mal-traitté : mais dés qu’une Maiſtresse eſt dans le Tombeau, il n’y a plus rien à eſperer ; & l’ame ſe trouvant abandonnée de tout ſecours, demeure dans un deſespoir ſi horrible, qu’il eſt aſſurément inconcevable à quiconque ne l’a pas ſouffert. Je n’ignore pas non plus, que la jalouſie eſt un ſuplice effroyable : cependant qui conſiderera bien ce qui fait le tourment d’un jaloux, verra que la ſeule crainte de perdre ce qu’il aime, eſt ce qui fait ſa plus grande inquietude : car s’il eſtoit aſſuré de ne perdre point ſa Maiſtresse, il ſeroit plus en repos ; & il ne ſe ſoucieroit pas tant d’avoir des Rivaux dans ſa paſſion. Or eſt il que la mort va tout d’un coup, où la jalouſie ne fait ſeulement que vous donner quelque crainte d’aller. De plus, un Amant jaloux a cent choſes a faire, qui en l’occupant le ſoulagent : Mais voir ce que l’on aime dans le Cercueil, eſt un miſerable eſtat qui vous laiſſe dans un funeſte repos, pire cent mille fois que toutes les peines du monde. Vous ne sçavez où