Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/235

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aller ny que faire : tout l’Univers vous eſt indifferent : plus le paſſé a eſté agreable pour vous, plus il vous rend le preſent inſupportable : & l’advenir en toute ſa vaſte eſtenduë, ne vous donne rien de plus doux à eſperer que la mort. De plus, la jalouſie eſtant de ſa nature une paſſion chancelante & incertaine, fait craindre & eſperer cent fois en un jour : & donne par conſequent quelques momens de relaſche à l’eſprit. Mais la mort de la perſonne aimée, eſt un mal touſjours également rigoureux, à qui le temps ne peut rien oſter : car enfin Leontine ſeroit morte pour moy dans un Siecle ſi je vivois, comme elle l’eſt aujourd’huy. Au reſte, que l’on ne s’imagine pas, que l’habitude adouciſſe un pareil mal ; c’eſt aux mediocres douleurs, que l’accouſtumance peut quelque choſe : Mais dans les grandes & violentes afflictions, plus elles durent, plus elles ſont inſupportables, & plus elles redoublent. Apres cela je diray encore, que l’impoſſibilité de trouver du remede à une ſemblable douleur, n’eſt un ſujet de conſolation qu’en la bouche des Sages & des Philoſophes : car en l’ame d’un Amant, c’eſt le plus effroyable ſuplice de tous les ſuplices. Ouy, la cruelle penſée de sçavoir que tous les Rois de la Terre ; que toute la valeur des Heros ; que toute la prudence humaine, ne sçauroit reſſusciter une Amante morte ; eſt proprement ce que l’on peut appeller l’abregé de toutes les douleurs que peut cauſer l’amour. Declarez donc, ô mon equitable Juge, que je ſuis le plus digne de vos plaintes, par la grandeur de mes infortunes : & j’avoüeray auſſi que les malheurs de Thimocrate, de Philocles, & de