Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/250

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alors ſans comparaiſon plus que luy. Je ne cherchay donc plus qu’à colorer cette infidelité : pour cét effet je creus que je devois luy dire le premier quelle eſtoit ma paſſion, feignant d’ignorer la ſienne. Je fus donc le chercher, & je le trouvay ſeul dans ſa chambre : mais ſi inquiet, que je ne l’eſtois pas plus que luy ; car il commençoit de ſoubçonner que j’eſtois ſon Rival. Theanor à ce que je voy, luy dis-je en l’abordant, eſt auſſi melancolique que Leontidas, quoy qu’il ne ſoit pas ſans doute auſſi amoureux : Comme nous avons preſques touſjours eſté à la guerre depuis que nous nous connoiſſons, me reſpondit il aſſez froidement, nous ne nous ſommes gueres entretenus de choſes galantes : & je ne sçay pas pourquoy vous preſupposez que vous eſtes plus amoureux que moy, ou que je ne le puis eſtre autant que vous. C’eſt (luy dis-je un peu interdit, car je ſentois bien que ce que je faiſois n’eſtoit pas trop genereux) que s’il eſtoit vray que vous aimaſſiez auſſi fortement quel que belle Perſonne, qu’il eſt certain que j’aime eſperdûment l’incomparable Alcidamie, vous vous en ſeriez pleint à moy, comme je m’en viens pleindre à vous. J’avois bien creû (repliqua Theanor, avec une froideur qui me ſurprit) que voſtre cœur n’échaperoit pas à cette Belle : Mais Leontidas (adjouſta t’il apres avoir un peu reſvé) vous n’aimez pas ſeul cette charmante Fille : & le Portrait que vous avez trouvé, devoit, ce me ſemble, vous avoir gueri de cette paſſion naiſſante. Au contraire, luy dis-je, c’eſt luy qui me fait plus malade : car quand je ne voy plus Alcidamie je le regarde : & il conſerve ſi bien le ſouvenir de ſa beauté dans mon ame, que je n’ay garde de l’oublier. Apres cela Theanor fut quelque temps ſans parler :