Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/261

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que ce Portrait eſtoit celuy qu’il avoit dérobé, ou en me diſant avec menſonge qu’Alcidamie le luy avoit donné : il ne sçavoit quelle reſolution prendre non plus que moy : & nous fuſmes quelques jours à nous fuir avec autant de ſoing, que nous avions accouſtumé de nous chercher. Durant ce temps là, je voyois Alcidamie autant qu’il m’eſtoit poſſible : & me ſervant du privilege qu’elle m’avoit donné, je luy parlois de ma paſſion : & elle feignoit touſjours de croire que ce n’eſtoit encore que par habitude : me priant de nouveau de me ſouvenir de conter bien les jours qu’elle m’avoit accordez.

Cependant apres avoir eſté un jour ſans la voir, je ſus me promener ſeul dans des Jardins publics qui ſont à la Ville, & qui ſont auſſi beaux que ceux du Prince Polycrate : pour y reſver avec plus de liberté, je pris une Allée fort couverte, où quelque temps apres ne pouvant m’empeſcher de regarder le Portrait d’Alcidamie, je le tiray de ma poche : & trouvant un ſiege de gazon contre une Paliſſade, je me mis à le conſiderer avec beaucoup de plaiſir. Mais à quelques momens de là, je le regarday avec beaucoup de chagrin : par la cruelle penſée que j’avois, qu’il euſt eſté donné à celuy qui l’avoit perdu : & je penſe meſme que ma jalouſie me fit prononcer quelques paroles, qui obligerent Timeſias qui ſe promenoit ſans que l’en sçeuſſe rien dans une Allée qui touchoit celle où j’eſtois, à regarder qui eſtoit celuy qui parloit : car comme je n’avois parlé qu’à demy haut ; & que je n’avois prononcé que trois ou quatre mots, il ne me connut pas à la voix. Il s’aprocha donc de la Paliſſade : & paſſant curieuſement : les yeux à travers l’eſpaisseur de branchez & des feüilles, il vit d’abord que je tenois un Portrait : & un inſtant apres,