Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/296

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eus la hardieſſe de luy obeïr : apres avoir neantmoins en quelque façon connu malgré toute ma preocupation, que je m’eſtois abuſé. Polycrate aprenant donc mon erreur, la diſſipa de telle ſorte, qu’il ne demeura nul ſoubçon dans mon ame : & je connus enfin que tout ce que Theanor m’avoit dit eſtoit faux : ce qui me mit en une colere ſi eſtrange contre luy, que je n’eſtois pas Maiſtre de mon reſſentiment. Je ne dis pourtant pas à Polycrate tout ce que je sçavois : & je creus qu’il ſeroit plus noble de me vanger par moy meſme, que de le faire par l’authorité de ce Prince. Comme il m’aimoit veritablement, afin de me bien guerir de ma jalouſie, il me fit le Confident de ſa paſſion pour Meneclide : & pour achever de m’obliger, il m’offrit ſon credit aupres d’Alcidamie. En effet il luy parla pour moy ſi avantageuſement, lors qu’il fut le lendemain reporter le Cachet de Meneclide, que cela obligea cette belle Perſonne à me conſiderer davantage. Cependant eſtant allé chercher Theanor, afin de luy teſmoigner mon reſſentiment, j’appris qu’il eſtoit allé aux champs pour quelques jours : & je sçeus meſme encore que Timeſias s’eſtoit trouvé mal, auſſi toſt qu’il avoit eſté chez luy, & qu’il ne ſortoit point. Si bien que me voila ſans jalouſie pour Polycrate, & deffait de deux Rivaux pour quelques jours : pendant leſquels eſtant favoriſé du Prince, je liay une amitié aſſez eſtroite avec Alcidamie, & je fus prés d’une ſemaine aſſez heureux.

Mais helas, le commencement de ma bonne fortune, fut celuy de mon plus grand ſuplice : car tant que je n’avois point creû eſtre aimé d’Alcidamie, ma jalouſie, quoy que grande, n’avoit pourtant rien eſté, en comparaiſon de ce qu’elle devint,