Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/297

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depuis qu’elle m’eut fait la grace de ſouffrir mon affection, & de me permettre d’eſperer un jour quelques teſmoignages de la ſienne. Car la regardant alors, comme une choſe où j’avois quelque droit, j’eſtois beaucoup plus tourmenté. Il falut que j’augmentaſſe mon Train, afin d’avoir plus d’Eſpions à obſerver ce qu’elle faiſoit, & ce que faiſoient mes Rivaux. Quand Theanor fut revenu, je le querellay ; nous vouluſmes nous battre ; & le Prince Polycrate nous accommoda, J’eus encore pluſieurs démeſlez avec Timeſias, & pluſieurs ſoubçons d’Hiparche : enfin j’en vins aux termes, que j’euſſe voulu qu’Alcidamie n’euſt veû perſonne. Je la ſuivois en tous lieux, ou la faiſois ſuivre : j’eſtois touſjours chagrin & touſjours reſveur : car encore qu’Alcidamie euſt eu la bonté de me donner quelque eſperance, elle ne laiſſoit pas de conſerver l’égalité de ſon humeur pour tout le monde : & d’avoir une civilité univerſelle, qui me faiſoit deſesperer, & qui faiſoit auſſi que je la perſecutois eſtrangement. En effet il m’eſtoit abſolument impoſſible, de ne luy donner pas eternellement des marques de mes ſoubçons, quand meſme je n’en avois pas le deſſein : ſi elle euſt eu l’indulgence de m’en vouloir guerir, peut-eſtre l’auroit elle fait : mais comme au contraire ma jalouſie l’irrita, elle fit tout ce qu’il faloit faire pour la rendre incurable. C’eſt à dire qu’elle ne ſe priva pas un moment de la converſation de pas un de mes Rivaux : qu’elle ne perdit jamais nulle occaſion de promenade ny de divertiſſement : & qu’elle veſcut enfin comme bon luy ſembla, & comme ſi je n’euſſe point eſté jaloux. Ce n’eſt pas que je ne connuſſe quelques fois, qu’elle ne faiſoit rien de mal à propos, &