Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/303

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ce que je voulois sçavoir : puis qu’il y avoit aparence qu’un homme qui paſſoit toute ſa vie à connoiſtre la nature des paſſions, me pourroit donner les moyens de vaincre ma jalouſie. Le mal dont vous vous plaignez, me reſpondit il, n’eſt pas ſi aiſé à guerir que vous vous l’imaginez, & je ne sçache qu’un remede pour cela : bien eſt il vray qu’il eſt infaillible, pour ceux qui s’en peuvent ſervir. Haſtez vous donc, luy dis-je, de me l’apprendre : car quelque difficile qu’il ſoit, je me reſoudray à le faire. Vous n’avez qu’à ceſſer d’aimer, repliqua t’il ; puis que ſans ce que je dis, ceux qui ont une fois l’ame fortement atteinte & faifie de cette dangereuſe paſſion, ne s’en peuvent jamais abſolument delivrer. Mais, luy repliquay-je tout en colere, il faudroit donc m’enſeigner en meſme temps, comment on peut ceſſer d’aimer : en ceſſant de voir ce que l’on aime, reſpondit il. Vos remedes ſont bien faſcheux, luy dis-je. Les maux que vous avez ſont bien grands, reprit il ; & dans les maladies de l’eſprit, auſſi bien que dans les maladies du corps, quand elles ſont extrémes il faut avoir recours aux extrémes remedes. Eſt il poſſible, luy dis-je, que la jalouſie ne ſe puiſſe guerir par nulle autre voye ? Non pas quand elle eſt violente, reprit il, & qu’elle eſt plus forte que l’amour qui la fait naiſtre. Car enfin cette paſſion déregle tellement la raiſon, & l’affoiblit de telle ſorte, qu’elle ne peut jamais juger de rien equitablement. Un homme jaloux avec excés, eſt comme un malade à qui la Nature ne preſte plus nul ſecours, & à qui les remedes ſont inutiles. Dans les autres paſſions, la raiſon reçoit quelqueſfois les choſes qu’on luy dit, comme il les faut recevoir : mais un jaloux ne trouve