Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/340

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Cyrus ſe jetta ſur un lict, plus pour ſe repoſer que pour dormir : auſſi bien n’en euſt il pas eu le loiſir ; car on luy vint dire que le Prince Artibie eſtoit à l’extremité, & qu’il demandoit à le voir. A l’inſtant meſme il ſe leve & le va trouver ; & il le trouve en effet preſt à mourir : mais avec un eſprit ſe libre, & une ame ſe tranquile, que Cyrus en fut ſurpris. Je ſuis au deſespoir, luy dit il en s’en approchant, d’eſtre en partie cauſe du déplorable eſtat où vous eſtes : Au contraire (luy reſpondit genereuſement ce Prince mourant) vous devez vous en reſjoüir pour l’amour de moy : qui depuis la per te de Leontine, n’ay cherché la guerre, que pour y trouver la mort. Je n’euſſe pû ſans doute la rencontrer en nul autre lieu, ſi glorieuſe qu’aupres de vous : auſſi ne regretay je plus rien en la vie : & je mourray avec une douceur que je ne vous puis ex primer, ſe vous me prommettez de faire enfermer mes Cendres dans le Tombeau de Leontine. En prononçant ce Nom qui luy eſtoit ſe cher, il per dit la parole, & peu de temps apres la veuë & la vie : & il expira ſans violence, à cauſe de la grande perte de ſang qu’il avoit faite. Il eut pourtant la ſatisfaction, d’entendre que Cyrus luy promit ce qu’il vouloir : car il luy ſerra faiblement la main, & leva les yeux vers luy, comme pour l’en remercier. Mais ce qu’il y eut d’admirable en cet te funeſte advanture, fut que la mort n’effaça point de deſſus ſon viſage, quelques legeres marques du plaiſir qu’il avoit eu à mourir, puis que ſa Maiſtresse eſtoit morte. Cyrus eut le cœur extremement attendri de la perte de ce jeune Prince, qui avoit ſans doute toutes les qualitez neceſſaires pour meriter ſon eſtime & ſon amitié : auſſi donna t’il des teſmoignages de douleur fort glorieux