Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Apres que la Princeſſe eut achevé ſon recit, avec beaucoup de marques de deſpit & de honte ſur le viſage, elle me de manda ce qu’elle devoit faire ? & je luy conſeillay d’éviter adroitement la converſation particuliere de Spitridate, ſans luy faire pourtant aucune incivilité : & de vivre enfin aveque luy comme avec un Prince que peut-eſtre elle pourroit un jour eſpouser, & peut eſtre auſſi ne l’eſpouser pas. De ſorte qu’il faloit agir d’une maniere qui fiſt qu’il l’eſtimast beaucoup : & que pour obtenir cette eſtime, il faloit n’eſtre ny trop indulgente ny trop mépriſante. Que comme elle eſtoit fort jeune, je la ſupliois de ne me faire point un ſecret de ce que luy diroit Spitridate, & de ce qu’elle luy reſpondroit : parce que c’eſtoit une choſe aſſez dangereuſe de ſe fier en ſoy meſme, en une matiere ſe delicate : & un âge ſe peu avancé que le ſien. Cette jeune & ſage Princeſſe me promit tout ce que je voulus : & en effet elle me tint ſa parole tres exactement, & fit touſjours tout ce que je ſouhaitay qu’elle fiſt. Comme Spitridate eſt un des plus ſages Princes du monde, & des plus reſpectueux, il ſe contenta durant quelques jours, d’avoir deſcouvert ſa paſſion à la Princeſſe Araminte, ſans la perſecuter davantage, de peur d’en eſtre mal-traitté : de ſorte que le voyant vivre avec une ſe grande diſcretion, & une ſe grande retenuë : je m’imaginay que peuteſtre cette jeune Princeſſe n’avoit elle pû faire la diſtinction d’une ſimple galanterie à une veritable declaration d’amour : puis que bien ſouvent, à ce que j’ay oüy dire, on ſe ſert des meſmes paroles, pour l’une & pour l’autre : & qu’il n’y a que le ſon de la voix, & la maniere de les prononcer, qui en face la difference.