Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/379

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d’autre paſſion, que celle de les reconquerir, & de perdre ceux qui les ont uſurpées : C’eſt pourquoy comme je ne ſuis pas laſche, je ne veux point avoir d’alliance avec des gens que je veux & que je dois perdre, à la premiere occaſion qui s’en preſentera. La diſſimulation eſt permiſe aux foibles oppreſſez, mais non pas juſques à ce point là : & ſi j’ay quelque jour à faire tomber mes Ennemis de ce Throſne d’où ils m’ont renverſé, je n’y veux pas enſevelir nies propres Enfans avec eux. Vivez donc avec une civilité apparente : mais ne vous engagez à rien, ſi vous ne voulez eſtre indignes de voſtre naiſſance & de mon affection. Je sçay bien que c’eſt en quelque façon manquer de prudence, que de parler de cette ſorte, à des perſonnes de voſtre âge : mais je sçay bien auſſi qu’eſtant ſortis de tant de Rois, vous devez eſtre genereux, & avoir l’ame ſensible à l’ambition. C’eſt pourquoy je ne doute pas, que vous ne sçachiez celer ce que je viens de vous dire : & que vous ne m’obeïſſiez aveuglément. Apres qu’Arſamone leur eut parlé de cette ſorte, il ſe retira ſans autre reſponse, que d’une profonde reverence, que luy firent Spitridate & Ariſtée : car ce Prince ſe faiſoit reſpecter de telle ſorte par ſes Enfans, qu’à peine oſoient ils le regarder. Comme il fut ſorty, Spitridate s’affligea ſi demeſurément, que la Princeſſe Ariſtée qui n’eſtoit gueres moins triſte que luy ; fut pourtant obligée de le conſoler. Mon Frere, luy dit elle, comme vous avez, & plus d’eſprit, & plus de generoſité que moy, je penſe que je ne puis de bonne grace, vous dire qu’il ne faut pas vous deſesperer, pour un ſemblable accident : touteſfois l’exceſſive douleur que je voy dans vos yeux, me fait prendre la liberté de vous ſupplier,