Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/394

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ce Prince, que je trame le deſſein que je commence d’executer aujourd’huy : la Ville de Chalcedoine eſt à moy, auſſi bien que celle de Chriſopolis : & j’eſpere que dans peu de jours, le Roy de Pont ſera en termes d’envoyer des Ambaſſadeurs à ma Cour, afin de me demander Ariſtée pour le Prince ſon Fils s’il la veut avoir. Mais quoy qu’il en arrive, je rends touſjours graces aux Dieux ; de ce qu’ils m’ont mis en eſtat de mourir libre, ſi je ne puis vivre comme Roy. Spitridate tout preoccupé qu’il eſtoit de ſa paſſion, ne laiſſoit pas de voir qu’il y avoit quelque choſe de grand & d’heroïque dans le deſſein de ſon Pere : mais quelque ambitieuſe que fuſt ſon ame, l’Amour en fut touſjours le Maiſtre : & il ne pût concevoir que l’eſperance d’eſtre Roy, le deuſt conſoler de la perte de ſa Princeſſe. Auſſi reſpondit il à Arſamone d’une maniere qui ne luy plut pas : & il ſe vit contraint de ſe taire, & de renfermer autant qu’il pût, toute ſa melancolie dans ſon ame. Je vous laiſſe à juger, Seigneur, quels furent ſes ſentimens, pendant cette navigation : il furent tels, que quand il me les a racontez depuis, il m’en a preſques fait pleurer. La penſée non ſeulement de quitter ſa Princeſſe, mais de la perdre ; de luy declarer la guerre ; & de paroiſtre comme ſon ennemi, apres s’eſtre veû preſt à l’eſpouser ; eſtoit une choſe ſi cruelle, qu’il penſa ſe jetter dans la Mer à diverſes fois : & ſans la Princeſſe Ariſtée, il ſe ſeroit deſesperé. C’eſtoit en vain que l’ambition vouloit affoiblir l’amour dans ſon ame : Non non, luy diſoit il en luy meſme, eſclatante & imperieuſe paſſion, tu ne chaſſeras pas ma Princeſſe de mon cœur ; elle y regnera malgré toy : & le deſir du Throſne n’eſtoufera