Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/492

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monde : & malgré ſa melancolie, il avoit la mine ſi haute, & l’air ſi agreable ce jour là, que je ne j’avois jamais veû mieux. Dés qu’il aperçeut la Princeſſe, il la ſalüa d’aſſez loing, avec beaucoup de reſpect : & s’approchant tous deux de la Barriere en meſme temps, les gens des deux Partis demeurant ſur les armes comme je l’ay dit, Spitridate fit encore une profonde reverence à la Princeſſe, qu’elle luy rendit fort civilement. En ſuitte de quoy prenant la parole, ce n’eſt pas Madame, luy dit il, pour venir capituler aveque vous, que j’ay demandé d’avoir l’honneur de vous parler, mais pour venir prendre vos ordres : & pour venir vous rendre conte de mon exil ; de mon retour ; & de ce que je fais preſentement. Enfin divine Princeſſe, ſi ce que le Roy mon Pere a fait, ne m’a pas rendu indigne d’eſtre eſcouté de vous, je viens vous aprendre toute ma vie paſſée ; afin d’aprendre en ſuite de voſtre bouche, quelle elle doit eſtre à l’advenir. Lors que je vous entens parler ainſi, reſpondit la Princeſſe, il me ſemble en effet que vous eſtes ce meſme Spitridate, choiſi par le feu Roy mon Pere, pour entrer dans ſon alliance : ſi tendrement aimé du Prince Sinneſis : & ſi parfaitement eſtimé de la malheureuſe Araminte. Il me ſemble, dis-je, que vous eſtes ce Spitridate, qui a ſouffert deux priſons pour l’amour de moy, avec une generoſité extréme : & qui m’a donné cent marques, d’une affection tres conſtante. Mais dés que je ne vous eſcoute plus, & que je regarde cette Barriere & tous ces gens de guerre qui vous environnent ; j’advoüe que vous ne paroiſſez plus à mes yeux ce meſme Spitridate que je dis : & que je ne voy plus en voſtre perſonne que le Fils d’Arſamone, c’eſt à dire de l’ennemy mortel du Roy mon Frere.