donnoit pour la conduite de la vie, eſtoit de ne faire jamais ce que l’on blaſmoit en autruy : neantmoins quoy qu’il m’euſt dit cela plus de cent fois, je n’en ſuis pas demeuré en ces termes : & apres avoir tant blaſmé moy meſme ceux qui avoient la foibleſſe de ſe laiſſer vaincre à la beauté, juſques à en perdre le repos : je ſuis en ſuitte venu à aimer, juſques à en perdre la raiſon. Mais comme les malheurs de ma fortune ont precedé ceux de mon amour, il faut que je vous die auſſi auparavant, que Melaſie (c’eſt ainſi que ſe nomme la Mere d’Alexideſme, que mon Pere avoit eſpousée, comme je vous l’ay dit, depuis que la veritable Princeſſe de Milet ma Mere eſtoit morte) ſe mit dans la fantaiſie que ſon fils ſe mariaſt avec une fille de Milet, qui eſtoit extrémement riche, & de la plus haute qualité. D’abord cela parut eſtrange à tout le monde : car on avoit crû que vray-ſemblablement t’y devois ſonger. Mais voyant que le Prince mon Pere l’aprouvoit, perſonne n’oſa plus en murmurer : & Alexideſme continua ſa recherche ſans aucun obſtacle. Car quoy que cette fille, qui ſe nommoit Leonce, de qui le Pere eſtoit mort, & qui eſtoit, demeurée ſous la conduite de ſa Mere euſt de l’averſion pour Alexideſme, elle la cachoit, par le commandement de ſes parens. En effet (s’il m’eſt permis de parler ſincerement d’un homme, qui a fait tous les malheurs de ma vie) il eſt certain qu’Alexideſme eſtoit peu aimable : il avoit ſans doute l’humeur violente de feu mon Pere, mais il n’en avoit ny la capacité ; ny la fermeté ; ny cent autres bonnes qualitez qu’il poſſedoit. Au contraire, il eſtoit coleré, cruel, ambitieux, foible, & entreprenant tout enſemble. Pour ſa perſonne, elle eſtoit bien faite : & il y avoit une
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