Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/577

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ne vous feray donc point ſouvenir, de ce qui ſe paſſa en cette occaſion, quis que voſtre modeſtie ne le pourroit ſouffrir : mais je vous diray ſeulement, que lors que je pris terre à Leſbos, ce fut pour y laiſſer malgré luy le Prince Tiſandre, à qui vous aviez fait deux bleſſures, moins grandes en apparence que celles que vous aviez reçeuës de luy, mais qui par le chagrin qu’il avoit, furent plus longues & plus difficiles à guerir que les voſtres. En ſuitte, Seigneur, ſuivant mon deſſein, je vous menay au Pont Euxin, où l’eus le bonheur de rencontrer ce que je cherchois, c’eſt à dire le Prince de Phocée : car ce fut veritablement contre luy que vous combatiſtes, & luy que vous vainquiſtes : eſtant certain que ſans vous, j’euſſe peut-eſtre eu le malheur d’eſtre vaincu. Mais Seigneur, la Fortune ne voulut pas que dans les trois Vaiſſeaux que nous priſmes, le Prince de Phocée s’y trouvaſt : & il échapa par un bonheur inconcevable.

Cependant apres que vous euſtes refuſé les deux Vaiſſeaux que je voulois vous forcer de prendre, parce qu’ils vous apartenoient plus qu’à moy : & apres que vous en euſtes ſeulement accepté un : cette meſme tempeſte qui s’eſleva un demy jour apres que nous nous fuſmes ſeparez, & qui vous jetta deux jours en ſuitte au port de Sinope (à ce que j’ay sçeu depuis) par un de ces prodiges qui arrivent ſi ſouvent à la Mer, & qui font que des vents tous contraires agitent les vagues d’un Cap à l’autre, la tempeſte me pouſſa dans l’Heleſpont : & en ſuitte me faiſant paſſer entre Lemnos & Leſbos, elle me força encore malgré moy d’aller plus à gauche raſer l’Iſle de Chio : & échoüer enfin, contre les Côſtes de Gnide, ſi connuës par cét Iſthme qui