Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/578

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s’avance ſi fort dans la mer, que cette pointe de terre ſemble eſtre entierement détachée du Continent. Juſques icy, Seigneur, vous pouvez regarder le commencement de ma vie, comme le plus heureux temps que j’aye jamais paſſé : car parmi mes malheurs, j’avois touſjours eu quelque bonheur : ſoit par l’amitié du ſage Thales ; ſoit par celle du Prince Tiſandre ; & ſoit en dernier lieu par la voſtre : Mais depuis le jour que j’arrivay à Guide, il n’y eut plus pour moy que de l’infortune. Elle ſe déguiſa pourtant d’abord : & je rendis graces aux Dieux, de m’avoir conduit en un lieu où je trouvay tant de civilité. Car vous sçaurez que juſtement à la pointe de cét Iſthme, où la tempeſte me jetta ſeul, mes autres Vaiſſeaux ayant eſté diſpersez par l’orage ; il y a un Chaſteau extrémement fort, & qui fait toute la deffence de cette preſque-Iſle du coſte de la Mer, où commandoit lors que j’y arrivay, un homme de condition nommé Euphranor, qui eſtoit Chef du Conſeil des ſoixante qui gouvernent cette Republique. Cét homme pour mon bonheur, à ce que je crûs en ce temps là, vit du haut d’une Terraſſe où il eſtoit, avec quelle impetuoſité les Vents m’avoient pouſſé vers le pied de ſes Murailles. De ſorte qu’à l’heure meſme par un ſentiment d’humanité, il envoya ordre à tous les Mariniers de ce Port de m’aſſister : & il prit un ſoing particulier, de sçavoir en quel eſtat eſtoit mon Vaiſſeau, & qui eſtoit celuy qui le commandoit. Car il connut bien que c’eſtoit un Vaiſſeau de guerre : & meſme un des plus beaux & des plus grands, qui euſt jamais elle eſté ſur toutes nos Mers : Se en effet c’eſtoit encore le meſme ſur lequel j’avois commandé l’Armée contre