de mon deſſein : & la crainte d’eſtre maltraitté, faiſoit que j’aimois mieux joüir en repos de la civilité qu’elle avoit pour moy, que de m’expoſer à ſa colere. Car, diſois-je en moy meſme, ſi je luy fais connoiſtre ma paſſion, ſans luy faire connoiſtre ma naiſſance, elle me traitera comme un Pirate : & ſi je luy apprens auſſi ce que je ſuis, quelle apparence y a t’il, qu’un Prince malheureux & exillé, puiſſe eſtre bien reçeu d’elle ? En fin je concluois que pour agir raiſonnablement, il euſt falu qu’elle euſt creû que j’eſtois amoureux, d’elle : & qu’elle euſt creû encore, que je n’eſtois pas de la condition dont je paroiſſois eſtre, ſans sçavoir pourtant preciſément que je fuſſe un Prince dépoſſedé de ſes Eſtats. Mais il eſtoit ſi difficile de trouver les voyes de n’en dire ny trop ny trop peu, pour luy donner cette connoiſſance, que je regardois preſques cela comme une choſe impoſſible : & je vivois dans une contrainte qui n’eſtoit pas imaginable. Cependant Leoſthene qui a un eſprit hardi & entreprenant, fit amitié avec une Parente d’Alcionide qui demeuroit chez elle : mais une amitié ſi eſtroite, que j’en eſtois eſpouventé : car cette Fille luy donnoit cent marques de confiance. Il eſt vray qu’il luy avoit fait pluſieurs petits preſents, de choſes qu’il achetoit en ſecret a Gnide, & qu’il diſoit avoir aportées de fort loing : comme des Eſſences, des Poudres, des Parfums, & autres ſemblables galanteries. De ſorte que comme cette Fille avoit l’eſprit aſſez libre, elle diſoit preſques tout ce qu’elle penſoit à Leoſthene. Un jour donc en parlant aveques luy, elle le preſſa & le conjura de luy dire préciſément qui j’eſtois : & comme il s’imagina que peut-eſtre cette curioſité n’eſtoit elle
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